La tomate

/ Critique - écrit par Maixent, le 07/02/2018

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La dystopie est maintenant un genre reconnu, peut-être même plus en vogue que l’utopie. Elle permet de mieux cerner les déviances de notre société actuelle en poussant ses travers à l’extrême. Ici, ce sont les notions de sécurité et de libre arbitre qui sont mises en cause.


Le héros

 

Dans ce monde aseptisé tant dans les  modes de vie que dans les pensées, on craint un passé obscène, le notre, où des comportements déplacés ont conduit à une sorte de cataclysme pour l’humanité. Du coup, on est parti dans la direction opposée. On ne ressent plus rien, l’art est mort, mais l’amour aussi et on trinque à l’eau pour célébrer une naissance programmée d’un enfant modifié génétiquement pour qu’il entre dans un moule établi. L’humanité est certes en sécurité, parquée dans trois cercles qui sont autant de castes mais ne ressent plus grand chose. Les riches, dans le premier, possèdent des piscines sur le toit de leur immeuble, tandis que les misérables du troisième ont des rations en eau qui leur permettent à peine de survivre. Ceux du deuxième, dont fait partie Anne, sont la classe moyenne, qui sont là pour faire tenir cette société  où Ikéa passerait pour un créateur de design excentrique.

Anne travail au service d’épuration, ce qui consiste à répondre aux appels  du troisième cercle, et aller sur place les débarrasser d’un objet du passé qui contreviendrait aux ordres venus d’en haut. Cette dénonciation obligatoire la conduit chaque jour à arpenter des rues sordides et grises encore plus gaieS qu’un kolkhoze au mois de novembre. C’est donc sans réfléchir qu’elle se laisse un jour attendrir par des graines de tomate trouvées par hasard. Sa vie bascule alors que le plant commence à sortir de la terre, ne comprenant plus ce monde sans vie. Sans peine mais sans joie. L’album s’ouvre donc tout naturellement sur son procès.

Le propos est assez intéressant  et très juste même si on ne comprend pas très bien certaines choses comme les logements des pauvres qui sont comme des salles d’attente d’un hôpital triste, ou comment ces humanoïdes, plus proches du robot que de l’animal, se nourrissent.

Mais le risque dans ce genre d’ouvrage qui dénonce la monotonie et la normalisation, c’est justement d’être monotone et gris. Le dessin est parfaitement lisse, la narration sans aucun effet, ce qui est bien sur voulu, mais au final produit un ouvrage sans vie qui rappelle l’esthétique anxiogène d’Equilibrium. A dénoncer l’absence d’âme d’une nation qui se dirige vers l’absence d’émotion au profit d’une idée sécuritaire on prend le risque de rester plat. A l’inverse d’un ouvrage comme I, Robot, où le héros est justement en opposition à cette morosité ambiante ou des films plus envolés comme Demolition Man où la dychotomie entre société épurée et libre arbitre est parfaitement mise en place, il manque ici cruellement d’action. Anne, n’est pas convaincue par ce qu’elle a fait, elle a, pendant un instant, compris, que la société dans laquelle elle évolue va au plus mal, notamment lorsqu’on parle de recalibrer les cerveaux pour avoir de parfaits moutons, mais l’idée ne va pas plus loin. Et on se prend difficilement d’affection pour elle. Et même si Anne est condamnée à la fin, tel Sam Lowry dans Brazil, pour avoir trop rêvé, l’impact est beaucoup moins important.

Au final l’album est à l’image de ce qu’il dénonce, très beau, dans le dessin, très confortable dans la lecture, mais trop modéré dans ses propos et trop lisse. Ce qui est dommage compte tenu de l’idée de base, poétique, une simple tomate comme renversement de l’ordre établi. 


Dérives sécuritaire